Au Togo, les bonnes gens n’aiment pas les rastas. Comme ASTOVOT voulait si élégamment le dire dans son document de conseils aux volontaires, « le rastafarisme est associé à la délinquance ». Indéniablement, dans l’opinion publique, c’est cela — et ASTOVOT le croit si fort qu’il y a quelques années, après quelques histoires troubles, ils ont banni les rastas de leur association.
Elise a longuement questionné les professeurs de Kpodzi sur ce qu’au juste on reproche aux rastas. Ce n’est pas très clair. En gros, vous comprenez, ma bonne dame, ces gens ne sont pas comme nous : ils ont des cheveux bizarres, fument de l’herbe, et ne fichent rien de la journée, planqués qu’ils sont dans leurs ateliers /d’artistes/, là… Ne traînez pas trop avec eux, il ne pourra que vous arriver des bricoles, des ennuis — ce sont des voyous. D’ailleurs, on ne voit vraiment pas pourquoi les blanches ne sortent qu’avec des rastas, c’est à n’y rien comprendre.
Il faut tout de même situer le contexte : le rastafarisme, en Afrique de l’Ouest, ce n’est pas juste une coiffure, comme souvent chez nous. Il y a aussi souvent l’herbe, c’est vrai ; et puis toute la religion qui va derrière, et qui n’est pas rien, la musique — djembés et reggae —, les ateliers d’artistes… Bref, c’est tout un système, une vraie communauté dont le centre se trouve au Ghana, mais qui s’étend dans tous les pays alentours.
À notre arrivée à Kpalimé, donc, nous avons eu droit au discours d’ASTOVOT « n’approchez pas trop les rastas ». Et en conséquence, au début, nous étions un peu méfiants. Mais rapidement, nous nous sommes rendu compte que les rastas sont la plupart du temps sympas, cultivés, qu’ils parlent un meilleur français que la moyenne des togolais… Ils proposent de nous apprendre à jouer de la guitare ou de djembé, et les objets qu’ils vendent dans leurs galeries sont souvent plus originaux et travaillés que les reproductions conventionnelles du centre artisanal. Bref, il s’en faut de peu pour qu’on ne les trouve au dessus de la moyenne nationale, et, en tout cas, on a la plupart du temps un contact plus facile avec eux qu’avec les bonnes gens togolaises.
Elise a essayé d’expliquer cela aux professeurs de Kpodzi, mais on a connu de plus grands moments de profonde communication inter-culturelle. En désespoir de cause, on aimerait presque leur dire que si les blancs aiment bien les rastas, c’est parce qu’ils sont plus sympas et intelligents que les togolais (et même qu’eux, les professeurs) — mais décidément, non, on ne peut pas.
Si vous voulez un parallèle européen, imaginez-vous dans une famille bourgeoise un peu conservatrice de la fin du XIXème siècle. Les grandes pièces, le lustre, le mobilier. Bon. Maintenant lancez la discussion sur les artistes. « Ah, ne m’en parlez pas, ces gens vulgaires qui ne fichent rien, ce goût qui se prétend moderne, et ces mœurs délurées… » La lie de la société. Hé bien les sentiments des togolais envers les rastas, pareil. Vous voyez l’idée ?
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