Le premier soir de notre arrivée à Kpalimé, parmi les responsables d’ASTOVOT qui nous accueillait, il y avait un médecin (anesthésiste). Il nous a dit que s’il ne nous savait pas tant péparés à craindre les maladies, il nous dirait d’arrêter tout traitement contre le paludisme, de l’attraper, de guérir, et qu’ensuite au moins on saurait que ce n’est pas grave. De fait, je pense qu’arrêter la prophylaxie nous ferait immédiatement et efficacement développer un paludisme psychosomatique et sévère, ce qu’il avait l’air de penser autant que moi, et par conséquent nous ne prenons pas comme un conseil ce qui ne prétendait pas l’être.
Seulement, il voulait nous introduire à l’idée fortement confirmée depuis par nos observation que le système sanitaire est tout à fait respectable dans les vrais hopitaux et cliniques, et que les togolais pourraient guérir de toute maladie aussi bien qu’en Europe, mais ne se soignent pas, ou pas au sens où l’on voudrait l’entendre : ils achètent de la « pharmacopée chinoise » (très en vogue, conditionnée dans des emballages unilingues chinois, afin de laisser au vendeur plus de latitude), ou encore des gélules et comprimés que l’on ne peut même pas appeler contrefaits car ils ne prétendent pas assez ressembler à quoi que ce soit de sérieux pour porter ce nom : ce sont des jetons multicolores dans de grands bocaux sur le marché.
Derrière le phénomène, il y a bien sûr la difficulté à payer un vrai médecin et de vrais traitements : ils veulent économiser sur ces charges-là, comme on coupe son vin avec l’eau – et probablement surtout une faible éducation aux problèmes de la santé ! Thomas, notre guide d’ADETOP, estimait que la pauvreté était le coeur du problème : qu’elle poussait des jeunes filles à se prostituer avec des hommes sidéens, qu’elle retenait les gens hors de l’hôpital. De fait, Hippocrate est bien loin d’ici, et le système veut qu’on puisse mourir devant les médecins, mais qu’ils ne feront pas grand chose si l’on ne paye pas d’abord. Cependant, le prix d’une consultation médicale (500 F CFA en hôpital), des médicaments, de la convalescence, le tout bien empaqueté, pour une maladie un peu grave mais pas tant que ça si elle est soignée – bronchite, disons – c’est autant, voire moins que le recueil de cantiques de l’église presbytérienne… et les gens qui achètent le recueil de cantiques disent qu’ils ne peuvent pas payer le médecin.
En revanche, pour ce qui est de l’éducation médicale… Je ne compte plus les panneaux et activités de sensibilisation, apparemment nécessaires, à des problèmes aussi simples que : si un membre de ma famille a le SIDA, je peux entrer dans la pièce où il se trouve sans l’attraper, mais je ne dois pas échanger des aiguilles de seringues avec lui. Faible éducation aussi aux problèmes d’hygiène, y compris chez des gens favorisés, fonctionnaires de l’Etat et propriétaires de deux énormes paraboles, plusieurs postes de télévision, etc : pendant une semaine, peu après notre arrivée, Daniel, 3 ans, fort malade, sous traitement (capriceogène aigü), tousse et éternue sur tout le monde et dans toutes les assiettes, dont la vaisselle, accessoirement, est faite à l’eau froide et souvent presque sans savon. Aux premiers gratouillis de gorge, Pierre et moi avons commencé à pactiser avec les boîtes multiples de Lisopaïne et d’Eludril dont nous détenons un haras (pour l’élevage), et avons échappé à la contagion. Ce n’est pas le cas du reste de la famille. D’ailleurs, si Clémentine s’abstenait de lécher le bouchon du sirop après avoir laborieusement fait avaler sa dose à Daniel, cela arrangerait sans doute les affaires de tout le monde. Du reste, Daniel est depuis très régulièrement malade, et quiconque l’a déjà vu sucer des charbons et lécher le sable de la cour aurait bien du mal à s’en étonner.
Beaucoup de gens ici auraient de quoi se soigner, s’ils étaient réellement convaincus que quand on est malade, c’est un médecin qu’il faut aller voir, et non la marchande, et s’ils respectaient tous quelques règles qui feraient que toute une famille ne tombe pas malade chaque fois qu’un enfant attrape un rhume à l’école. Pour nous, il y a des choses efficaces (le médecin, les médicaments), et d’autres qui ne le sont pas, ou accidentellement (gélules roses du marché, grigris), et qui peuvent nuire. Nous faisons la différence entre des phénomènes scientifiquements étudiés auxquels on peu répondre de façon raisonnées, et le reste, avec quoi l’on fait ce que l’on peut d’une façon nébuleuse. Pour eux, il y a une sorte de continuum entre les médicaments du marché, la pharmacopée chinoise, l’automédication et un vrai médecin, et l’investissement dans le haut de l’échelle est un luxe – c’est à dire, bien souvent, n’en vaut pas la peine. Il n’est donc pas question la plupart du temps de réunir pour sauver un individu la somme qu’on parvient toujours à trouver ensuite pour les funérailles. Récemment, Atchou, un volontaire togolais d’une association éducative, est mort sans avoir vu le médecin : la volontaire qui avait passé presque toutes les dernières semaines avec lui a essayé de convaincre la famille, mais ils avaient peu d’argent, ç’aurait été une dépense difficile pour eux, ils hésitaient, et préféraient faire confiance à Dieu. Quand il est mort, ils ont commencé à emprunter partout l’immense somme d’argent nécessaire aux funérailles. Ca ne surprend que les occidentaux : l’attitude des locaux va de la désapprobation au constat de normalité, mais aucun d’eux n’oserait prétendre que c’est une attitude rare.
Cela dit, la remarque vaut pour des maladies communes, et dont les traitements ne sont pas trop onéreux – pas pour une trithérapie à l’européenne. D’autre part, je ne veux pas faire paraître fort simple un problème qui ne l’est pas : l’hygiène, les précautions contre les accidents ménagers, etc, c’est tout un mode de vie, et je ne suis pas sûre que la réforme profonde que cela nécessiterait ici coûterait toujours moins qu’elle ne rapporterait. Je suis à peu près persuadée qu’on pourrait faire la vaisselle plus efficacement et ne pas lécher les assiettes des autres. Mais cesser de manger dans un plat commun ? Refuser aux enfants la participation aux tâches ménagères ? Ici, s’il arrive un accident, c’était la volonté de Dieu ; pas question d’interdire aux enfants l’approche du feu, par exemple. C’est aussi ce qui les rend beaucoup plus dégourdis que chez nous. Carine, 5 ans, s’amuse beaucoup en aidant (efficacement) à la cuisine, au service, et au reste – et c’est ce qui fait qu’il ne faudra pas l’y forcer dans dix ans, puisqu’elle considérera déjà ces tâches comme partie normale de son quotidien. Suivre nos habitudes de prévention, donc troquer quelques accidents contre le mode de vie de tous qui les rend souvent plus heureux et simples que nous, ce serait une mutationprofonde et pleine de conséquences.
Tags: santé
décembre 5th, 2008 at 9:04
Il est vrai que les habitudes constituent une seconde nature ; c’est la » force sombre » de la tradition.Cependant la pauvreté est vraiment à l’origine de tous les maux.
Quand à votre avis,(Pierre et toi)sur les maladies tropicales,il me paraît tout à fait fondé.
Pour certains ,à force de côtoyer la maladie ,ils s’y habituent et pensent pouvoir la contrôler ,je pense que ce n’est pas toujours vrai .