Elise a appris il y a quelques jours l’existence de la mutuelle familiale de M. Degboevi. Il faut savoir que beaucoup de « mutuelles » existent, ici : mutuelle des producteurs de café, mutuelle des enseignants, jusqu’à la caisse de solidarité des professeurs. Souvent, c’est un peu hasardeux : on donne beaucoup à la mutuelle, et elle reverse un peu au jugé, principalement lorsqu’il s’agit d’enterrer un parent éloigné.
M. Degboevi, donc, a instauré et organisé une mutuelle familiale. Vous vous rappelez sans doute que les togolais ont tendance à trouver plus facilement l’argent des enterrements que celui du médecin. Pour éviter cela, M. Degboevi souhaitait depuis longtemps mettre en place un fonds familial ; mais un oncle s’y opposait. L’oncle a fini par mourir, faute d’argent pour le médecin : la famille lui a fait de somptueuses funérailles, puis a décidé de lancer ce projet de mutuelle.
Tous les mois, chaque membre de la famille verse cent francs : ce n’est pas grand chose, le prix d’une assiette de riz chez une bonne-femme. Progressivement, la mutuelle s’est constituée un fonds d’environ 200 000 francs, dans lequel on peut puiser en cas de besoin. M. Degboevi est très ferme là dessus : « si j’apprend que quelqu’un est mort alors qu’il y avait de l’argent dans la mutuelle pour le soigner, gare à lui ! ». Mais ce n’est pas un système de remboursement : il faut rendre ce qu’on emprunte. Les contributions mensuelles restent ainsi modestes : elles ne servent qu’à créer le fond de roulement. Ce système n’est pas limité aux soins médicaux : l’autre jour, quand la fille de M. Degboevi est rentrée à la maison, faute d’avoir payé l’écolage, M. Degboevi a fait appel à la mutuelle, et a pu payer le collège sur le champ — il remboursera le mois prochain.
Ce système me plaît beaucoup. D’une part, il est très adapté à la mentalité du pays : souvent, ce n’est pas que l’argent manque vraiment, mais on a du mal à en mettre de côté. Ces économies mutualisées, qui permettent une avance d’argent rapide et sans usure, sont une bonne manière d’y remédier. D’autre part, on sait l’importance qu’a la cellule familiale dans les sociétés africaine : c’est peut-être un meilleur niveau pour résoudre les problèmes que les instances régionales ou nationales. Mais surtout, c’est une solution qui vient d’eux-mêmes, imaginée par les gens qui en ont besoin, et non pas par un programme d’entraide internationale truc-chose : je crois que cela change tout.
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mars 9th, 2009 at 21:11
Commentaire du vieux cynique de service :
J’aime comme idée. Excellent moyen de mettre en place un système d’assurance mutuelle responsable et non infantilisante car reposant sur la responsabilité des individus. La micro-assurance, après le micro-crédit finalement.
( et sinon j’ai bien ri au « si j’apprend que quelqu’un est mort alors qu’il y avait de l’argent dans la mutuelle pour le soigner, gare à lui ! » )
mars 10th, 2009 at 23:44
Bon truc en effet. Cela a quelque rapport avec la tontine. Cela dit, avec cet argent, ils pourraient tout de même s’occuper de leurs chats…
mars 13th, 2009 at 17:30
Je trouve l’idée géniale et la mise en oeuvre super-efficace. En somme la mutuelle familiale est à la fois sécurité sociale , association familiale, banquier (moi aussi cela me fait penser au micro-crédit). Ont-ils un truc pour arriver à faire rentrer régulièrement les cotisations ? Cela pourrait bien intéresser certaines associations que je côtoie!
Peut-être pourrait-on monter une mutuelle féline pour les soins médicaux des chats? Les notes d’honoraires des vétérinaires sont paraît-il phénoménales!
mars 14th, 2009 at 11:40
Ca a effectivement quelques rapports avec la tontine, qui bien sûr existe ici comme mode de mutualisation des économies (rappel : les tontines africaines rassemblent des personnes versant une somme substantielle chaque mois, somme qui est immédiatement versée comme cagnotte à un des membres du groupe).
En revanche, on ne peut pas vraiment dire que cette mutuelle familiale soit responsabilisante au niveau des individus : au contraire, elle existe surtout pour pallier la difficulté des individus à économiser eux-mêmes pour les imprévus. On déporte donc la responsabilité au niveau du groupe – et il se trouve que ça fonctionne bien parce le niveau familial est une échelle adaptée.
Enfin, je ne sais pas s’ils ont un truc pour faire rentrer les cotisations. De ce qu’on a vu, le plus souvent, faire rentrer les cotisations dues dans n’importe quel système consiste principalement à tanner doucement mais régulièrement les gens : ils finissent par donner. Mais ici, je pense surtout que le problème n’est pas les cotisations, qui sont vraiment minimes (100 FCFA, même pour les salaires d’ici, c’est très peu de choses. Le prix d’un sandwich, vraiment). Peut-être l’argent avancé, en revanche, a-t-il plus de mal à rentrer ; mais là encore j’imagine que se placer au niveau familial aide : les gens ne vont pas se brouiller avec toute la famille pour une affaire de prêt, et remboursent donc sans histoire.
mars 18th, 2009 at 19:06
Je n’ai pas très bien compris ce qu’est la tontine mais j’aime beaucoup la mutuelle familiale. Je me demande juste ce que veut dire « en cas de besoin » et qui décide s’il faut ou non puiser dans la caisse. C’est M. Degboevi qui l’a inaugurée pour l’écolage de sa fille? Il ne pouvait vraiment pas payer ou c’était pour donner l’exemple? J’espère que vous nous donnerez des nouvelles de la mutuelle!
mars 20th, 2009 at 8:51
Je crois que c’est un peu tout le monde, pas mal la trésorière, et surtout les gens respectés dans la famille qui décident ce qui est « important ».
M. Degboevi ne l’a pas inaugurée pour l’écolage. Quant à savoir si c’était vraiment nécessaire… M Degboevi a un salaire régulier. Il n’y a pas eu de problème ou de retard dans le versement du salaire récemment. Les frais d’écolage étaient annoncés depuis des mois. Il correspondent à « très peu de chose », s’il faut en croire le propre qualificatif de M. Degboevi sur l’adhésion et la cotisation à LIRE (pour les adultes membres de l’association, pas pour les enfants bien sûr) qui représente à peu près la même somme. L’écolage devrait être payé en septembre, et c’est seulement en novembre qu’on se fâche et qu’on menace de renvoyer les enfants de l’école s’ils ne payent pas.
Il a emprunté l’argent en novembre, remboursé en décembre. C’est à dire : il n’avait plus cet argent chez lui, et s’il avait du attendre son salaire suivant, sa fille aurait été privée de cours deux semaines. L’aide temporaire était donc nécessaire et salvatrice.
Quant à savoir si elle était nécessaire au sens « était-il dans une nécessité rigoureuse et insurmontable ou aurait-il pu faire autrement ? »… ce n’est pas un débat, ici.