Vous l’aurez peut-être remarqué, mais je me suis engagée ces jours-ci dans une grande entreprise de nettoyage de printemps. Tous les thèmes que j’ai inscrits un jour dans mon document programmatique « blog sujets », puis soigneusement laissés de côté pendant des mois, sont maintenant de jolis et nombreux fichiers vides, colonisant mon bureau en attendant que je leur prête attention. Ma grande résolution de cette semaine : écrire enfin ce qui menaçait de se transformer en fantômes poussiéreux.
« Pourquoi cela ? » me direz-vous, toujours prompts à me rassurer et à me garantir de mes propres sévérités. Car je me suis aperçue que je considérais souvent les lecteurs du blog comme déjà informés de ce que j’avais à dire sur tel ou tel sujet, particulièrement les plus quotidiens – depuis le temps que j’y pensais, il devait bien être écrit, cet article…
Arrêtons-nous donc un instant sur les programmes scolaires. Dans les quelques semaines qui ont suivi notre arrivée, Pierre et moi avons porté une certaine attention aux programmes de français et de mathématiques – service oblige – puis aux programmes généraux dans l’ensemble des disciplines. A quelques réformes près, ce sont les programmes de la France en 1960. Dans certaines matières, mathématiques, physique, selon Pierre, il semble y avoir eu une réforme vers 1990, dans le sens des évolutions française. En français, je n’ai rien remarqué de tel. Avantage notable : nos manuels scolaires peuvent encore leur servir quand ils leurs sont envoyés – même s’ils se plaignent de leurs inadaptations, car les programmes français ont changé, eux, depuis cinquante, ou même vingt ans. Inconvénient : ils ont conservé une pédagogie antédiluvienne, ce qui leur épargne l’errement et permet aux français de mesurer les progrès accomplis en plusieurs décennies de tâtonnements, parfois hasardeux il est vrai ; les programmes ont très peu suivi l’évolution du monde et des nouvelles découvertes, notamment en géographie, ou en physique ; les adaptations au contexte africain, qui n’est pas celui de l’Europe, sont maigres.
En histoire, on m’a dit qu’au primaire, les aléas contemporains du Togo étaient au programme – colonisation, indépendance… je ne sais sous quelle forme, étant donnée la situation politique du pays. Durant tout le collège, en revanche, les programmes sont peu ou prou les mêmes que les nôtres. L’antiquité grecque, romaine, byzantine… mais comme on m’a expliqué une fois, « on fait aussi un peu l’Afrique : il y a l’Egypte ancienne ». Le monde médiéval en cinquième, etc. Il me semble qu’en 4e, on insiste un peu sur les grandes explorations de l’Afrique (par les Européens), et sur ce qu’ils y ont trouvé. Je n’en suis pas sûre : personne ne m’en a parlé, malgré mes nombreuses questions à ce sujet, mais j’ai vu une carte allant dans ce sens sur le tableau d’une classe. En classe de 3e, l’histoire contemporaine est étudiée du point de vue européen (guerres mondiales, totalitarismes), mais inclut aussi celle du Togo. Je ne sais pas dans quelle mesure. En somme, comme vous voyez, on a aménagé les programmes d’études pour laisser une place à l’histoire nationale, mais tout reste subordonné à l’Occident, et à des programmes conçus pour les enfants français.
Je ne crois pas malheureusement que la recherche historique soit suffisamment mûre pour provoquer une évolution profonde, vers la refonte de ces programmes, qui permette une meilleure réflexion sur l’identité et l’héritage réel que les enfants d’ici ont à porter – un peu moins de place à l’empire byzantin, peut-être, un peu plus à l’histoire de l’Afrique pré-coloniale, des grands Empires, des conversions, de l’administration coloniale… pour n’être pas une catastrophe, ce genre de réforme doit s’appuyer sur le socle de solides recherches intellectuelles, qui permettent effectivement à un pays et à une jeunesse de réfléchir sur eux-même à travers leur histoire, et non d’orienter quelques thèses dans des directions contrôlées par la politique. Dans quelques semaines, Pierre et moi espérons nous rendre à l’Université de Lomé, où peut-être des surprises nous attendront. En attendant, ce que j’ai vu des livres historiques ne va pas au-delà de la monographie de piètre qualité sur les grands personnages africains – publiée en France, évidemment. C’est un peu dommage, parce que tout de même, mon impression, c’est que les questions d’identité sont aiguës, de même que serait nécessaire la réflexion profonde sur les processus qui ont mené à la situation actuelle, voire sur ce qu’on veut ou peut devenir avec ce passé sur les épaules. Même, si l’on m’avait laissée penser, j’aurais cru qu’il y avait urgence.
Je continue à croire dans mon coin qu’on ne construit pas un pays, des vies, un devenir, sur le mot flou et non réfléchi du développement, recouvrant souvent la quête de l’argent comme solution à tous les problèmes. (La question ne concerne pas que des domaines purement culturels au sens où l’entend l’Occident. L’argent est-il la solution au problème de la corruption, ou bien l’arrêt de la corruption une condition pour que l’argent soit présent d’abord, utile ensuite ?)
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