* La société des Gédéons.

Posted on décembre 8th, 2008 by Elise. Filed under Non classé.


Un vendredi matin (vendredi dernier si j’arrive à poster avant qu’un autre ne passe), à l’école primaire de Tsigbé ou j’étais assise au dernier rang de la classe de CM1, et où je suivais le cours d’éwé de 7 h 30 à 9 h comme toutes les semaines, nous avons été interrompus par un ancien instituteur qui s’en est copieusement excusé auprès de moi. Il venait distribuer la petite édition bleue des psaumes et du Nouveau Testament offerte par les Gédéons dans de nombreux hôtels, prisons, et autres lieux de hautes réjouissances dans les pays anglo-saxons – et ici dans bon nombre d’écoles autant que je puisse en juger.

Le directeur du collège Kpodzi en a offert à la ronde il y a quelques semaines, et je dois dire que cela m’a bien arrangée : je suis venue ici sans Bible, Pierre également, et si je crois pouvoir me passer de la généalogie qui ouvre l’évangile de Matthieu pendant plusieurs mois, je me suis tout de même rendue compte assez vite après mon arrivée qu’un Nouveau Testament et les Psaumes, justement, pouvaient être fort utiles même au déchiffrage quotidien. Les enseignes, un peu partout dans la ville, se dispensent rarement d’une référence biblique. Très souvent, elles sont réduite à « Mercerie Ps. 23″ ou « Auto-école Mt 10;14″ ; on finit par se demander pourquoi les psaumes 23, 24, 27 et 34 sont leurs grands chouchous, ou à défaut, par aspirer à savoir ce qu’ils racontent. De plus, le salutaire petit ouvrage bleu des Gédéons permet de tuer le temps pendant les messes de trois heures en éwé. Evidemment, il existe d’autres solutions. Par exemple, on peut occuper la messe en éwé par une saine (et longue) recherche de tous les vêtements qui, dans l’assistance, sont décorés de citations bibliques, généralement accompagnées de leur références ; puis on les apprend par coeur ; ensuite, on peut les restituer lorsqu’une enseigne évoque le même passage. « L’éternel est mon soutien, de qui aurais-je peur ? », notamment, est premier toutes catégories pour la confection de tissus – je soupçonne une vague rumeur de prophylaxie autour de ces vêtements.

Vendredi dernier, donc, il s’agissait de distribuer aux enfants les petits ouvrages bleus. Imaginez notre prêcheur, en grand boubou ouvragé, qui confère l’air de sagesse à vous faire souhaiter d’être un vieil homme. Large sermon pastoral, d’abord, dans l’école publique et laïque en question. Laïque, vous allez très vite le comprendre, cela veut dire non confessionnelle a priori, mais n’implique pas qu’on se dispense d’un catéchisme occasionnel. « Levez la main ceux qui parmi vous veulent aller au ciel et voir Jésus !… Tout le monde veut aller au ciel ! Oui ! » et autres interrogations : « Le Fils de Dieu… toi, dis-nous qui est le fils de Dieu… allez, dis-nous… » sans oublier les inénarrables approximations face auxquelles je n’ai pu retenir un sourire amusé : « il est venu pour nous, sur la Terre, pour nous sauver, il s’est laissé tuer, égorger, avec des blessures partout, là [grands gestes de combat à la lance, qui amusent les élèves, et que quelques garçons imitent], pour nous sauver, etc »

A peu près à ce moment, à mi-voix, j’ai demandé à l’institutrice si tous les élèves étaient chrétiens ; elle n’en savait rien, mais disait que dans le quartier, il y avait assez peu de musulmans. Cela dit, au collège, à 200 m, il y a trois élèves musulmans repérables sur 61 élèves de 6e – repérables signifie qu’ils se prénomment par exemple Farid et me fournissent des exemples du type « Mon père va à la mosquée » pour l’utilisation de « à ». Cela dit, ils ne les proposent pas à l’oral, et pour un exemple comme ça, j’ai dix « Je vais à l’église. » et trente « Je vais à l’école. » ; indéniablement, ils sont minoritaires. Pour en revenir à l’école primaire, certains avaient l’air assez gênés et ne voulaient manifestement pas répondre, soit timidité, soit faible foi, soit peut-être autre foi…

Et là, oyez le moment le plus savoureux : monsieur l’instituteur, qui explique bien clairement aux enfants que ce livre est un cadeau, gratuit, financé par des hommes d’affaires (« ça veut dire des hommes riches, parce que quand on fait des affaires, les enfants, on est riche »), cet homme donc a besoin de financer un déplacement dans les villages pour distribuer des fameux livres bleus. Vous imaginez peut-être que les généreux évèrgètes togolais pourraient se cotiser pour le carburant, puisqu’ils ne payent ni les livres ni l’acheminement de ces livres… eh bien non ! Il s’agit de demander au enfants 10 F CFA chacun. La plupart ont sur eux 25 F à peu près pour le repas de 9 H (oui, oui, ça existe), et on s’empresse de leur expliquer que manger un peu moins n’est rien au vu du service rendu pour la Bonne Parole qui est Dieu Lui Même… Alors commence une large lutte d’influence entre la récolte de fonds peu scrupuleuse et l’institutrice, qui a l’air de trouver que 10 F, ce n’est pas 15 F ou 25 F, même si Monsieur le Distributeur n’a pas la monnaie, et qui aide les enfants à se grouper par cinq pour donner cinquante francs ensemble plutôt que 25 F à deux…toutes sortes de tractations. A la fin, il reste quelques élèves qui n’ont pas reçu de livres – dont certains se cachent et n’ont pas l’air de vouloir l’obtenir du tout.

Ceux qui ne se cachent pas finissent par obtenir, grâce au truchement de l’institutrice, que le fameux cadeaux gratuit leur soit effectivement accordé. Mais tout de même, on rechigne à leur laisser cette liberté de ne pas donner. Reprise du sermon après la fermeture de la caisse enregistreuse. « Toi, tu es kabiyé, on sait bien que les Kabiyés travaillent plus, alors ils ont plus d’argent, et c’est toi qui ne donnes pas ! Ce n’est pas bien ! Tu es sûr que tu n’as pas d’argent ?… » largement rectifié ensuite par « Bon, toi tu es éwé, mais nous les Ewé, si nous avons moins d’argent, c’est parce que nous travaillons moins, nous sommes paresseux. Il faut travailler ! Tu peux seulement ramasser des feuilles de teck, ou des branchages, le soir. Tous les soirs, tu ramasses. Un peu, un peu, le samedi, tu peux vendre au marché. Ca aide tes parents. Ce n’est pas bien, la paresse ! »…

A la récréation, avant de partir, j’en ai discuté avec l’institutrice. Quand je lui ai donné mon avis sur la vente forcée, elle était plutôt d’accord. Elle avait essayé de peser contre le mecantilisme et de défendre les intérêts des enfants, notamment contre la mascarade du « Je n’ai pas de monnaie, mais 25 F, c’est encore mieux, tu iras au ciel. » Elle était moins étonnée, donc moins scandalisée que moi, mais comprenait et approuvait mon avis : on distribue les livres, puis on sollicite des dons si l’on veut, mais tel quel, c’était de la vente forcée, non du don et contre-don…

Expérience édifiante.

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